Il était une fois… une histoire vraie.
Elle se passait dans un grand bâtiment assez ancien. Les enfants n’y couraient pas, en fait, ils circulaient en fauteuils roulants. Souvent, ils auraient aimé faire la course le long des grands couloirs. Parfois ils se racontaient des histoires.
« Avant je savais courir, je montais sur le tracteur de tonton Jacques… »
« J’avais une voiture à pédales rouge… je tirais des buts… »
En passant devant une jolie petite librairie, une jeune éducatrice qui recherchait toujours des livres, des jeux qui pourraient distraire les petites frimousses vit dans la vitrine un titre(1). Elle feuilleta l’album et vite l’acheta.
Dés le lendemain elle sorti de son sac à livres le précieux album; déjà chacun des enfants pouvait caresser les feuilles, toucher et sentir le papier glacé sous ses doigts; on installa les enfants tous en rond, même les « kinés », dans le grand hall.
L’histoire commença; les petits yeux brillaient, des éclats de lumière couleur bergamote illuminaient la vieille bâtisse aux couleurs un peu passées.
Des ho, des ha ponctuaient les phrases et faisaient sourire les enfants qui en oubliaient la lourdeur des roulettes.
Les enfants cherchaient attentivement leurs deux héros préférés : Marguerite et Timothée.
Dans ces temps anciens, tous les enfants recevaient à la naissance un sac inépuisable empli de « Chaudoudoux » que chacun offrait sans réserve et de bon cœur.
Chaque fois que quelqu’un recevait un « Chaudoudoux » il sentait son petit cœur battre très paisiblement. Il se sentait chaud et doux de partout.
Les enfants mais aussi les adultes n’arrêtaient pas de s’offrir des « Chaudoudoux », choisissant le plus soyeux ; ils étaient gratuits, on pouvait en avoir autant qu’on voulait.
Presque tout le monde vivait heureux et se sentait chaud et doux.Seule une personne regardait ces dons de « Chaudoudoux » d’un œil torve. Elle ne pensait qu’au profit et glissa à l’oreille de nos petits amis généreux que cette situation ne pouvait durer. Elle mit tout en œuvre pour que son projet se réalise.
La vie changea bien vite, chaque jour les gens devenaient plus avares moins chaleureux…et doux.
Les gens souriaient moins, parfois ils s’arrêtaient même de sourire, certains se ratatinaient et parfois même jusqu’à en mourir. Les gens avaient peur.
Lorsque quelqu’un demandait un « Chaudoudoux », un vilain tendait un sac de « Froidpiquants » qui glaçaient l’atmosphère et gelaient le bout du nez arrachant des larmes.
Certains allaient même jusqu’à fabriquer de faux « Chaudoudoux » y collant de jolies plumes, de très beaux morceaux de tissu…mais lorsqu’ ils les offraient ce n’était pas une douce chaleur qu’ils donnaient mais au contraire que froid, humidité et un immense chagrin qui envahissait les cœurs et l’esprit – tout se recouvrait de « grisou ».
La jeune éducatrice qui avait découvert les « Chaudoudoux » au détour d’une petite librairie, se trouva confrontée plusieurs années après à l’horreur de la maladie nommée CANCER et à la mesquinerie de certaines personnes qui déclarèrent qu’elle serait absente de son travail « ad vitam æternam »
Convoquée devant un grand professeur de médecine, elle se retrouva face à un monsieur « Froidpiquant » qui avait revêtu un très beau costume et un sourire plein d’amabilité.
Ce monsieur déguisé en scientifique très sérieux et sur lequel la jeune femme avait grande envie d’appuyer toute sa confiance et ses espoirs de guérison ne reçu que :
-« Il n’y à pas d’opération possible, les métastases sont trop nombreuses et trop petites. Pas de radiothérapie non plus »
Quelques sons s’arrachèrent de sa gorge pour ânonner :
-« Cela signifie que je suis fichue ? combien de temps ? »
-« Vous allez vous endormir doucement d’ici quelques semaines… »
-« Mais mon mari peut me retrouver décédée… ? »
-« Oui »
Brutalement, l’élégance m’est apparue comme me traînant dans un abattoir.
Puis nous rentrons dans notre campagne – préparatifs à la hâte : objets à offrir à mes proches ultimes consignes à mon mari…puis une crise d’épilepsie avec transport aux urgences à l’hôpital et coma artificiel.
Dans un bref moment de lucidité, je demande à mon mari de téléphoner au Docteur Mouysset, le « Chaudoudoux » rencontré à Aix-en-Provence l’année précédente pour consultation et conseils.
Départ pour Aix-en-Provence à 700km. Je ne sais pas où je vais ni comment me situer – je parle – je dors – la voiture fonce dans le vent et la pluie qui fouettent violemment la campagne.
AIX-EN-PROVENCE : rencontre avec le Docteur Mouysset et le centre Ressource où d’emblé il m’est proposé de ne pas rester isolée, de ne pas me refermer sur moi même, de m’ouvrir sur le jardin du parc et de la vie. Le sophrologue se met en lien avec moi et me propose ses exercices. La psychologue m’offre des visites régulières et des échanges m’aidant à appréhender cette nouvelle existence avec plus de sérénité…
Rencontre avec la radiothérapeute « chaudoudouesque » dont je retiens les paroles : « Le Docteur Mouysset ne baisse jamais les bras »
Je me retrouve au pays de l’humanité tant au niveau des soignants, des aidants et des accompagnants. J’aspire une belle bouffée de senteurs bergamotes.
Peu à peu je renoue avec la vie et des idées de tissages colorés me reviennent. Les jours peuvent être nommés et quel que soit les jours « grisous », les journées au devenir incertain, la vie se réinstalle progressivement, retrouve des couleurs et des senteurs donnant envie d’aider et d’apporter de petits fragments étincelants. Et de permettre aux étoiles de briller avec intensité même si le ciel est « grisou ». Souvent en observant attentivement le ciel on peut voir voire inscrite cette jolie phrase : « Choisissez une étoile ne la quittez pas des yeux elle vous fera avancer loin sans fatigue et sans peine (2)»
Une légende dit que ce sont Marguerite et Timothée qui ont tissé de leurs petites mains cette phrase précieuse pour relier le Ciel et la Terre.
Ce témoignage est dédié à toutes les personnes, enfants, vieillards…qui souffrent et à tous ceux qui n’ont de cesse d’œuvrer pour qu’advienne le plus vite possible un monde plus chaud et plus doux et qui aident les patients et leurs proches à traverser cette épreuve.
Le conte chaud et doux des Chaudoudoux, Claude Steiner, Inter Editions 2009
Alexandra David-Néel